L’annonce effectuée ce mardi 12/07/23 du rachat des enseignes Cora et Match par Carrefour a surpris le plus grand nombre des acteurs de la Grande Distribution que ce soit à l’intérieur ou en dehors de ces groupes.
Une longue histoire entre ces deux entités si proches et si différentes
La plupart d’entre nous dirons que cela fait des années que l’on en parle.
En effet l’histoire entre Carrefour et Cora et assez ancienne et bien que longue et complexe, nous allons essayer de la remonter tout doucement mais nous allons surtout nous poser la question si ce rapprochement et ce rachat à 100% est un mariage de raison ou une véritable opportunité pour les deux groupes ?
Depuis l’annonce il y a quelques jours du fait que Carrefour rachetait les activités françaises du groupe Louis Delhaize c’est à dire les hypermarchés Cora mais également l’enseigne de supermarchés Match, la plupart des observateurs se projetent car il est vrai que pour Carrefour c’est une vraie opportunité.
Le groupe Carrefour par cette absorption de Cora et Match revient un peu près au même niveau de part de marché que Leclerc dans le secteur de la distribution alimentaire.
Leclerc qui pèse à peu près 23% par de marché en France (22,8% plus précisément) et Carrefour qui avec l’arrivée de Cora va pouvoir remonter à peu près aux environs de 22,5% .
Finalement racheter Cora : le Petit Poucet de la distribution (qui était son surnom pour la plupart des acteurs du retail) serait une véritable opportunité pour Carrefour … ou pas ?
Lorsque l’on remonte un petit peu l’histoire on se rend compte que Carrefour et Cora sont des groupes qui sont intimement liés .
L’histoire de Carrefour c’est 1963 le magasin de Sainte-Geneviève-des-Bois, l’histoire de Cora quant à elle commence en 1969 avec un magasin sous franchise Carrefour.
La famille Bouriez prend définitivement son indépendance de Carrefour en 1974 et ses 9 magasins de l’époque seront désormais sous l’enseigne CORA (qui regroupe 60 hypermarchés en 2023 après la fermeture du magasin de Bourgoin-Jailleu fin 2022 soit moins de 5 ans après son ouverture).
Bien que la première tentative de prise de contrôle de Cora par Carrefour en 1996 a laissé des traces indélébiles, les associations entre Carrefour et Cora sont restées très fortes alors que beaucoup de points de vue les opposent.
Cora c’est le groupe familial par excellence c’est le groupe qui a grandi au fur et à mesure avec le rachat de l’enseigne Radar en 1984, le rachat de la Société Européenne de Supermarché qu’on connaît mieux sur l’enseigne Record en 1989, c’était également le rachat de certains magasins Mammouth en 1997 .
Les interactions entre Cora et Carrefour sont nombreuses, finalement cela fait plus d’une dizaine d’années que ces deux entités collaborent l’une avec l’autre successivement par une centrale d’achat (2014) même si dernièrement Cora a fait d’autres alliances au niveau des achats.
Autres perspectives communes depuis 2016 sur la data (le véritable enjeu de la connaissance client et de l’offre personnalisée) même si sur le gros projet de Carrefour sur la data et la donnée clients qui s’appelle Carrefour link , l’enseigne Cora n’avait pas été associée.
Deux approches et cultures cependant très différentes
Cora, c’est un groupe qui se cherche, c’est un groupe qui a besoin de moyens financiers, c’est un groupe qui a connu une période avec des ambitions internationales (la Hongrie depuis du 1997 puis en Roumanie depuis 2003 même si les magasins présents en Hongrie ont été vendus à Auchan, tout comme ceux présents en Roumanie qui il y a quelques semaines étaient rachetés par Carrefour, le rapprochement était en train peut être déjà en train de se faire).
Cora c’est le groupe Louis Delhaize dirigé par la famille Bouriez qui finalement tente de se démarquer en innovant beaucoup avec le lancement en 2000 de houra.fr le premier cybermarché du net ou le concept de l’hypermarché sur Internet bien avant que l’on parle de l’explosion du phénomène des marketplaces et de l’arrivée de l’alimentaire sur Amazon.
Très avant-gardiste, Cora c’est l’entreprise qui a cru dans le drive mais qui finalement n’a pas su l’industrialiser, Cora c’est l’invention de nouveaux concepts comme le drive piéton sous la marque « Cora en ville » à Metz avant un déploiement plus important et un changement de concept passant d’un espace de retrait à un espace de vente et retrait alors que le leader du drive piéton est désormais Leclerc.
Cela a été également la réflexion sur le report du principe de drive piéton chez les commerçants de quartiers avec finalement la mise en place de l’expérience locale.
Cela aura été également l’expérience des casiers de retrait automatisés en avance de phase.
Le vrai problème aura été sur la mise en place des process d’industrialisation et de déploiement parfois pas assez rapides.
A contrario, Carrefour, ce n’est pas un groupe familial c’est un groupe d’actionnaires avec des réflexions sur l’industrialisation, l’optimisation des process et une pensée retour sur investissement (ROI).
Nous sommes dans un choc de deux procédés qui finalement se cherchent depuis des années mais est-ce que ce mariage va véritablement profiter ?
Une répartition géographique adéquate
Lorsque l’on regarde la carte de France, il ne devrait pas y avoir de trop de surprises sur le retour de l’Autorité de la Concurrence vis à vis de ce rachat car très peu de magasins Carrefour sont en concurrence avec les magasins Cora.
Ils sont tous deux avec une implication qui est très géographique et complémentaire suite à l’implantation très localisée sur la quart Est de la France des magasins CORA.
Des véritables opportunités
A y regarder de près un grand nombre d’optimisation et de concentration vont permettre de rationaliser les couts entre ces deux entités dont les activités sont essentiellement tournées vers l’alimentaire: centralisation des achats, poids sur la négociation fournisseurs, optimisation logistique, optimisation pratique au quotidien, les axes sont nombreux mais le chemin est long car dans un monde très informatisé, il va falloir coordonner les flux alors que Cora et Match à leur échelle ne partagent pas la totalité des process et flux informatiques et logistiques.
Ce mariage va finalement profiter aux deux mais en donnant une autre dimension pour Cora et un apport de nouveaux volumes pour Carrefour.
Et le client dans tout cela ?
Cependant, on peut se poser plein plein de questions en terme de fusion de l’expérience client:
- est-ce que les magasins vont changer de nom ?
- les produits à leur échelle, vont ils changer de marque ?
- est-ce que la marque CORA existera encore ? elle qui est très très implantée et impliquée dans la vie locale du Nord et de l’Est de la France.
- Comment va se passer le parcours client omnicanal ? Magasin vs Internet ?
- Quel impact sur les prix ? sur l’assortiment ? sur la politique commerciale ?
- Quel impact sur l’emploi et indirectement sur le service client ?
Une véritable révolution
Ce mariage est tout de même un changement dans le paysage médiatique de la grande distribution et indirectement du e-commerce car on va se retrouver avec un groupe Carrefour qui est dans le top 20 des sites e-commerce en France (chiffres FEVAD T1/2023) avec un vrai enjeu de la digitalisation.
La digitalisation: c’est ce que fait très bien Cora depuis quelques années, c’est ce que fait un peu moins Carrefour non pas par manque d’initiatives mais plus par le fait qu’il est plus difficle de déplacer un grand groupe et ses process déjà en place, preuve si besoin de l’agilité d’un groupe plus petit par la récompense reçue il y a quelques jours par Cora pour la digitalisation de ses catalogues papier.
La fin des prospectus, un véritable enjeu également pour les magasins et pour ne pas perdre de la part de marché alors que même des enseignes que l’on attendait pas sur l’e-commerce telles que Lidl sont désormais présentes en version Phygital avec l’ouverture de son site e-commerce il y a quelques semaines.
Un grand perdant ? Auchan ?
Il y a quelques mois on nous prédisait un rapprochement entre Carrefour et Auchan et finalement ce rapprochement n’ayant pas eu lieu et suite au rachat de Cora par Carrefour, ce rapprochement semble peu probable voir impossible.
Est-ce que le grand perdant de cette transaction ne serait pas l’autre grande famille du retail , la famille Mulliez avec la marque Auchan qui avec ses 8% de part de marché en France serait de fait l’enseigne qui deviendrait « le plus petit des grands » pour faire face aux géants qui sont en train de se constituer ?
Auchan qui au passage a raté le virage de l’e-commerce alors que si toutes les marques de la famille Mulliez qui compte près de 50 enseignes (Auchan, Alinea, Saint Maclou, Jules, Kiabi, Pizza Paï, Electro Depot, Décathlon, Norauto, Flunch, Boulanger …) se fédéraient sur internet et sur l’e-commerce, leur puissance de feu pourrait faire trembler d’autres géants du net comme Amazon (à l’échelle de la France).
Découvrez notre analyse plus complète en vidéo ci-dessous :